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Pose d'un support de restauration - © Sylvie Brun
La campagne de restauration des pièces de notre fonds Fortuny a débuté en 2016 par une série de constats d’état. Le constat d’état permet de déterminer les besoins en restauration et les contraintes d’exposition. Il sera ainsi défini la durée et la nature de l’intervention, ainsi que la possibilité ou non de mise sur mannequin. En effet, certaines pièces en bon état risquent de se dégrader car elles ne peuvent supporter leur propre poids pendant toute la durée d’une exposition. Dans ce cas, il convient d’adapter le mode d’exposition, soit en disposant l’objet à plat, soit en demandant au socleur de fabriquer un support adapté, offrant un soutien suffisant.
Durant cette première étape, soixante-huit vêtements issus de notre fonds ont été examinés et leurs constats d’état ont représenté environ trois semaines de travail. En outre, trois d'entre eux, présentant des signes d’infestation d’insectes, ont fait l’objet d’un traitement par anoxie. Pour éviter tout risque de propagation au reste de la collection, ils ont donc été placés dans une poche étanche sans oxygène pendant environ un mois dans le but d’asphyxier les nuisibles.
La seconde phase, effectuée durant le printemps et l’été 2017, a concerné les restaurations proprement dites. Le but de la restauration est d’abord d’assurer la conservation de chaque objet. Elle peut ainsi lui permettre de supporter sans dommage les manipulations liées à la mise sur support (ou mannequin), ainsi que la contrainte de son propre poids pendant toute la durée d’une exposition. Il s’agit essentiellement d’apporter des tissus servant de soutien et de couverture mécaniques, dont le but est de protéger des tensions et des frottements les parties fragilisées ou dégradées. Chaque intervention doit être réversible, minimale, visible par un professionnel, respectueuse de l’intégrité de l’objet, et documentée dans le cadre d’un rapport de restauration. Les matériaux employés doivent être aussi neutres et chimiquement stables que possible.
Parmi les quarante-sept vêtements du fonds actuellement exposés, trente-deux ont nécessité des restaurations. Ces traitements ont représenté environ cent jours de travail et ont fourni l’occasion de faire face à des problématiques spécifiques liées aux techniques mises au point par Mariano Fortuny.
> Restaurer les plissés de Mariano Fortuny : un défi
Des taffetas de soie japonaise colorés à l’aide de teintures naturelles et plissés ont été mises en œuvre pour les robes Delphos et Eleonora. La soie est un matériau assez fragile, sensible aux attaques chimiques de l’environnement et aux infestations d’insectes. La présence d’un apprêt à base d’albumine sur les plissés pourrait également avoir contribué à favoriser la fragilisation du matériau, en créant un substrat attractif pour les insectes, en apportant une source d’acides sous forme de produits de dégradation et enfin en rigidifiant le tissu qui risque plus facilement de fendre le long des plis.
Des dégradations situées dans les plissés concernaient plusieurs pièces de la sélection. Le traitement de ces vêtements a été l’occasion de mener une réflexion, ainsi que des tests, autour de la restauration des tissus plissés. Il était nécessaire de réaliser des traitements de consolidation afin de permettre la mise sur mannequin de ces pièces sans risque d’aggravation des dégradations, comme l’agrandissement des lacunes, l’apparition de déchirures ou des pertes de fragments de tissu. Il fallait aussi tenir compte du fait que le traitement, si respectueux du plissé originel qu’il soit, allait apporter des modifications d’aspect non négligeables : l’ajout d’épaisseurs supplémentaires, même plissées, allait de toute façon écarter les plis d’origine.
Les plissés concernés présentaient deux particularités qui ont constitué autant de difficultés supplémentaires : d'une part, l'apparence des plis qui sont irréguliers et de petite taille (2 à 3 millimètres en moyenne); d'autre part, la complexité de traiter les zones fragilisées. Celles-ci ne pouvaient pas être consolidées sur un tissu de support parfaitement plat; cela aurait eu pour résultat d’ouvrir les plis, et donc de modifier beaucoup l’aspect de l’objet, tout en créant des tensions susceptibles de favoriser l’apparition de fentes au niveau des pliures. Il était donc nécessaire de plisser le tissu de support pour respecter la forme du tissu original. En raison de la petite taille et de l’irrégularité des plis, il était impossible de réaliser des plissés à l’identique, mais il fallait toutefois plisser le support pour pouvoir conserver le caractère élastique du tissu restauré. La crêpeline de soie a été choisie comme tissu de support, car elle présente l’avantage d’être très fine, ce qui limite l’effet de surépaisseur, inévitable lors de l’ajout d’un support à un textile dégradé. La soie utilisée pour la restauration a été teinte à l’atelier à l’aide de colorants synthétiques.
Exemple de dégradation du plissé (à gauche), pose d'un support de restauration (à droite) - © Sylvie Brun
> Deux exemples de traitement :
. Premiers essais sur une robe Delphos :
Robe Delphos, vers 1913, inv. GAL1969.91.26. - © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet
Le traitement de petites dégradations sous forme de fentes a commencé sur une robe Delphos (photos ci-dessus). Des essais de plissages ont d’abord été réalisés sur de petites pièces de crêpeline de soie, jusqu’à obtention de résultats satisfaisants pour permettre l’intervention. De petites pièces plissées ont donc été placées sur l’envers des zones à consolider, puis les deux épaisseurs ont été solidarisées à l’aide de points de restauration. Si les supports ainsi mis en place écartaient légèrement les plis, le résultat était cependant convenable et assez discret en raison de la petites surface des parties traitées.
Zone de fentes, avant et après traitement, endroit (au centre) et envers (à droite) du plissé - © Sylvie Brun
. Intervention longue et complexe sur une robe Eleonora :
Robe Eleonora, vers 1912, inv. GAL1964.20.117 - © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet
L’intervention la plus longue et la plus complexe a concerné une robe Eleonora provenant de la garde-robe de la duchesse de Gramont (photos ci-dessus). Cette pièce est constituée de toile (de coton ?) grise imprimée de motifs dorés et, de chaque côté, d’une bande de taffetas de soie vert d’eau plissée courant de l’extrémité de la manche jusqu’à l’ourlet de la jupe. Ce vêtement montrait des signes d’usage intensif, tels que des taches, d’importantes usures et des ravaudages, ainsi que des traces d’un dégât des eaux qui a affecté le plissé dans la partie basse de la jupe. D’importantes dégradations physico-chimiques étaient largement liées à des taches et à des auréoles, principalement situées dans le taffetas plissé et la doublure du bas de la manche droite et du bas de la jupe. Le bas de la jupe semblait avoir pris l’eau et le plissé avait perdu en partie sa forme originelle.
Une zone de lacunes située dans la doublure du bas de la manche droite a été traitée par insertion d’un support de consolidation en taffetas de soie (de type pongé) préalablement teint en gris et stabilisé à l’aide de points de restauration effectués au fil de soie organsin deux bouts préalablement teint à l’atelier. Le tissu de cette zone restant très cassant malgré cette intervention, le traitement a été complété par la pose d’une protection de crêpeline de soie fixée sur le pourtour et suivant le contour des lacunes pour éviter le détachement et le mouvement de nouveaux fragments.
Certaines zones plissées de la manche et de la jupe étaient tellement dégradées et cassantes qu’il fallait envisager non seulement de consolider le plissé avec un tissu de support, mais également de le protéger, seul moyen de rendre le mannequinage possible et d’éviter la perte de fragments de tissu déchiré ou oxydé. La réalisation d’un "sandwich" entre deux crêpelines préalablement plissées représentait une difficulté technique toute particulière, car il s’agissait de réaliser un traitement de consolidation et de protection efficace tout en respectant au maximum les plis originaux. Les zones à consolider étant assez importantes dans le bas de la jupe (de l’ordre du décimètre carré ou plus), de plus grandes pièces de crêpeline ont été plissées, tout en respectant la forme des zones à traiter.
Pour réaliser la "mise en sandwich", une pièce de crêpeline plissée a d’abord été épinglée (à l’aide d’épingles d’entomologistes) sur l’envers en suivant précisément les droits fils et en alignant le support au tissu original, pour éviter tout risque de tension. Puis la partie à traiter a été retournée, et la crêpeline du dessus a ensuite été mise en place droit fil et épinglée de la même manière. Enfin, les crêpelines ont été cousues sur le pourtour au point avant à l’aide de fil de soie organsin deux bouts et les trois épaisseurs ont été solidarisées par des séries de points de restauration couvrant la quasi-totalité des zones protégées. Le traitement total de cette robe a représenté un total de trois semaines de travail.
Extrémité de la manche droite, intérieur, avant et après traitement - © Sylvie Brun
La préparation de l’exposition Fortuny, un Espagnol à Venise a constitué une opportunité pour réfléchir à la problématique de la restauration des plissés serrés et irréguliers. Des essais et des propositions de traitements ont pu être effectués et pourront contribuer à la mise en œuvre de futurs chantiers d’intervention sur des pièces encore plus dégradées. Si la restauration d’un plissé Fortuny pouvait sembler particulièrement périlleuse à mener à bien au premier abord, cette expérience a permis de démontrer que des traitements sont possibles au prix cependant d’interventions réfléchies, longues et délicates et impliquant malgré tout une certaine modification d’aspect du matériau restauré par l’ajout d’épaisseurs supplémentaires.
Consultez ici le diaporama de la restauration de la robe Eleonora :
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