PAUi. CiiUTH Notre monde du cheval a son Mourt. A dix-sept ans, Michèle Cancre, lauréate hippique, ploie ~ous les coupes. Le dernier C,Oncours, ?aptisé mai~t~nant J1m/1!1g, l'a fait acclamer jusqu au poula1l\cr du V clcdr~mc d Hiver par une foule prcsqu'aussi no~br~use, sau~monantc et écumante d'ardeur que celle des Six 1ours cyclistes. . Michèle Cancre me reçoit chez clic, boulevar~ Beaumarchais, dans un immeuble aux balcons pansus qm contraste avec les magasins d'accessoires automobiles des alentours, fleurant l'rssencc fraîche et le pneu las. Une petite Jeanne d'Arc, droite, immobile, lente, aux mouvements fantomatiques, vêtue d'une jupe à car~eaux écossais et d'une veste de laine brune. De grosses Joues d'abricot semées d'un duvet qui semble rebroussé sous le vent. De bonnc:s lèvrc:s d'cnfançonnc: faites pour mordre encore à la tartine. Mais des yeux écartés, enfoncés, serrés sur ~ne résolution de fer. Pas un grain de poudre ni de rouge. R,e~ que la pulpe du printemps, ombragée de cheveux blonds qu, ruissellent dans le dos, sages comme ses pas. . . Sa main serre la mienne si impalpablcment que J_e la .crc~,is blessée à la paume. Egaré par la lCg~nde des mams d acier freinant des coursiers en feu, je m'étonne. _ Il faut avoir la main très douce pour les chevaux, dit-die d'une voix imperceptible, ruinant, du mêmc: coup, mes idées sur les amazones au timbre de stentor. . Je lui demande comment a pu germer cette vocauon. Je A 17 ANS UlClll]LE C!NCI\E AFF I\ ONTE LES UILLEUI\S CAVALIEI\S DU !IONllE Michèle Cancre est encore trh pctitc filk mais \'objectif ne l'intimide plus. die a déjà vu, malgré ses 17 ans, trop d'obstacks d'une autre taille. m'attendais à une famille: de centaures, naissant sur une selle en têtant une cravachc:. - Mon père est dans la fonte d'art, il fait des st:ttues, des pendules. Elle me montre un bronze des usines paternelles qui la représente sautant un obstacle, et une pendule encadréc: de glaives qui sonne quatre heures en toute innocence. Le responsable fut un oncle, donateur et instigateur. - Il vendait des chevaux à Vaugirard, mais commercialement, dit-c:llc avc:c candc:ur, comme s'il existait plusieurs façons de vendre. Il n'avait pas d'enfants. Il nous aimait beaucoup, mon frère et moi. Il possèdait une propriété à Clichy-sous-Bois, près du Raincy, sur la route de Meaux. Vingt hectares. C'est là que nous passions nos vacances. Un ône puis un poney A quatre ans, comme poupée, l'oncle prophétique: lui donna un âne. A six ans, un poney des Shetland dont il venait d'importer la race en France. Puis un cheval qu'elle mont:tit à la cow-boy, sans bride, sans selle, sans étriers, à cru. - Jusqu'à quatorz.c ans, je n'ai jouée qu'avec des garçons. Maintenant, au contraire, j'ai b::aucoup d'amies filles, toutes plus âgées que moi. Je ne m'entends pas bien avec les gens de mon âge et les jeunes ne peuvent pas faire du Concours: ça prend trop de temps. Renversée en arrière, dans b lenteur, clic me mène à sa chambre, d'une allure de procession. Une chambre virginale, ot! l'azur se dispose en papier peint et en rideaux. Au-dessus du lit un crucifix. Une bibliothèque de poupée, pour la forme, car M_ichèle Cancre lit peu. Elle n'est a\JCCc:n classe que jusqu'à la seconde, à 1·1nstitut Dupont des Loges, rue Amelot, qu'elle: me désigne de l'index, en rougissant, à l'idée qu'il ne faut pas montrer du doigt. L'horreur de la couture - J"ai adoré l'Algèbre. J'aimais bien 11-listoire, mais pas !'Orthographe. Je dCt~stais la leçon de couture. D'abord je n'ai jamais su faire un point. Mais j'adorais la gymnastique. Aussi sacrifia-t-cllc la lecture:. Elle passa dc:s Trois Mowquetaires à Jules Verne, et maintenant aux romans policiers; la série du Saint de Leslie Chartcris, qui voisine sur ses quclqu s décimètres d'étagères avec lu Thibault, en un tClescopage imprévisible. Mais la place d·honnc:Jr reste aux coupes des victoires. Celles là plastronnent sur l'armoire, sur la chcminéc:. Ellc:s affectent toutes les formes avec une égale suffisance:. Mais toutes célèbrent l'cxcc.lencc. Michè!c Cancre va chercher un cahier d"écolicr Lutétia où, à défaut d'orthographe, clic inscrit ses prix de cheval. Sc suçant un doigt de la main gauche, elle feuillette de la droite, aussi a~pliquCC qu·une écolière vérifiant ses résultats de compositions. - En 47, dix-sept premiers prix. M.a première grande victoire, le Critcrium des chevaux de France. Mon premier international à Lucerne. Des Suissc.s, des Amé.ricains, des Italiens, des Irlandais, des Français. J'étais la seule femme de tout le concours: quinze ans et demi. J\ vc:c la même égalité de voix, c!Jc me décrit les soixante partants. - Les autres concurrents sont battus par !'Anglais. Je bats l' Anglais. Le drapeau français monte en haut du mât. Il y restera jusqu'au bout sans désemparer, puisque le chevalier d'Orgc:ix à gagné: il m'a battu de quatrc: secondes. Usant du cc recto tono » ou ton monocordc: des couvents, c:llc continue sa comptabilité. - En 48, seize premiers prix. Pardon! Un de moins qu'c:n 47. Championnat de Deauville. Championnat de saut en hauteur à Valençay : 1 m. 90. Aucune femme en France n'a sauté I m. 90. Coupes dc: Béthune, de Rennes, d·Ancc. Elle vient de partir pour Nice, Rome, Vichy, Bilbao, Biarritz, Ostende, Alger, Cannes. A l'âge où les lycéennes d'Agen vont à Bordeaux passer l'oral de leur baccalauréat, c:llc est devenue une voyageuse internationale, qui court et saute le matin dans les villes étrangères et qui doit danser le soir dans les réceptions, la valse viennoise surtout, qu'elle aime. Elle est devenue:, aussi, l"habituée des gares de marchandises et des passerelles ot! résonnent les sabots : clic va embarquer elle-même ses chevaux que son lad accompagne. Je m'inquiète: des frais, des dépenses. Elle s'en inquiète aussi, mais avec la placidité d'une Iphigénie:, fille de roi, car seules les pendules de son père peuvent lui permettre de sauter. En effet ses prix couvrent seulement les frais de transport des chevaux, non les siens. - Dans quelle tenue sautez-vous? A vcc la bonne grâce d'une fillette qui montre ses poupées, clic va me chercher la vêture équestre. La veste rouge, obligatoire pour les concours internationaux, alors que la noire suffit c:n France. La sienne est dignc: d'une chasse à courre royale. En tissus anglais satiné, suave à l'œil ChC7. sa couturière Michèle Cancre n'oublie pas rhrure de l:i va/.,;c.
RkJQdWJsaXNoZXIy ODcwNTE=