Album du Figaro, N° 19, été 1949

48 Htnri Matisse. obligt dt gardtr k lit, travaille à sts découpagts. MATISSE un Jeune peintre v o~~v~~urd~~~~:;ét~a~i~s:.u:::e \~:~~:er;:• tl:î;e:,er~::;~ deux dessins, vingt et un papiers coupés. Tout cela, peinture, traits, formes taillées au ciseau à même la couleur, est sorti des mains blanches et soignées, piquetées de taches de son sur le dessus, d'un vieil homme malade touchant à ses quatre-vingts ans (il est né à Cateau-Cambraisis le 31 décembre 1869). On y retrouve le même émerveillement qui fait que, depuis cinquante ans, Matisse recommence ses bouquets sans épuiser les assortiments infinis de la flore. A chaque nouvelle exposition de Matisse c'est un jeune peintre que l'on découvre. Parce que Matisse, avec ses yeux bleus d'enfant derrière des lunettes malicieuses et ravaudeuses, n'a jamais fini de découvrfr et d'assembler. Son œuvre ne raconte pas Matisse. Le personnage échappe à l'anecdote. Mais elle le réfléchit. Ce sont les réflexions d'un peintre devant la peinture. C'est le monde, ses teintes et ses feintes, dans le miroir d'une eau claire comme un regard. Un monde épié. Mais, parfois, Matisse se laisse surprendre par sa toile comme par un objectif indiscret, et il apparait soudain sur le tableau. C'est le c portrait de l'artiste au maillot rayé > (1906). Ou c'est, pris au piège d'une glace, le peintre, en 1935, dans un coin du c Nu au collier Empire :t. Il ressemble à un personnage de Francis Jammes. Le botaniste - cet enfant vieilli, Je nez chevauché de lunettes, la barbe en pointe, la boite verte en bandoulière, qui part herboriser à travers les prairies - à la cueillette des couleurs. Matisse s'intitule volontiers c le voyageur sédentaire >. Car ce n'est pas l'herbe qui l'intéresse, mais l'herbier. Ce n'est pas partir, mais rentrer, la téte pleine de couleurs et déballer sa récolte sur la toile. Sa promenade l'a mené en Bretagne, à Londres. en Corse, à Munich, à Collioure, à Moscou, à lssy-lesMoulineaux, à Tahiti. Il a rapporté des brasses de fleurs, de pleins cabas de citrons, des châles comme des palettes, des souvenirs de palmiers retroussés par les alizés, un grand chapeau de paille brune, un pyjama de planteur de thé, des vases de tous cols, des oiseaux de tous plumages et cette blouse de paysannes bulgares dont il a fait, en 1940, la jeune fille à la b!ouse brodée, son chef-d'œuvre, peut-être. On sait ce qu'il advient des botanistes. Ils sont partis cueillir des fleurs. lis finissent par cueillir des jeunes filles. La flore n'est plus qu'un prétexte à l'après-midi d'un faune. A la pointe .!.èche, comme à la pointe d'un regard aigu, encore aiguisé par ses lunettes, Matisse a illustré les désirs touflus du faune de Mallarmé. Son trait, à travers les roseaux, a deviné les nymphes. Son pinceau, à travers les pétales, a pressenti la chair. Les fêtes de la nature, chez lui, sont aussi des fêtes de femmes. La pente est insensible qui mène de la colline aux flancs d'une odalisque, de l'eau dormante aux vasques des prunelles et de ces feuilles écartelées du philodendron aux mains épanouies par le plaisir. Le tour du monde de Matisse aboutit à cette tour de lumière, sur la Côte d'Azur, oû il ressemble à un mînotaure dans un dédale transparent. Son itinéraire tourne en rond autour du même bouquet qu'il refait et du même modèle qu'il défait sans cesse. Depuis la première boite de peinture que lui offrit sa mère, la femme du marchand de grains de Bohain (Aisne), jusqu'à cette palette accrochée au-dessus de son lit c'est, avec des angoisses qui l'empéchent de dormir plus de quatre heures par nuit, la même entreprise de s'annihiler devant la toile, la même tentative de rendre, dans un mouvement incontrôlé, la composition des motifs savamment assemblés d'avance. Adolescent maladif, on le vouait à un métier éteint. Après ses classes au lycée de Saint-Quentin, et un peu de droit, on l'avait placé comme clerc chez un avoué de la vîlle. Pendant une convalescence, sa mère lui offrit sa première boîte de peinture. Elle devint sa passion. Aux B~aux-Arts, dans l'atelier de Gustave Moreau, il avait pour condisciples Marquet et Rouault. Avec Marquet, un jour, par GASTON BO:'<I IEUU Dans l'atelitr de Matisse, à Vmec, aux murs pavois6: de .ses œuvrcs rn. papier aux coulrnrs éclatantts. ils étaient rue Richelieu sous une porte cochère, prenant des instantanés de la foule : passants, fiacres, cyclistes. Matisse, avec son air sérieux qui lui valait d'être appelé c le docteur >, évoqua leur maitre. - Delacroix dit qu'on doit pouvoir dessiner un homme tombant du quatrième étage d'une maison. Marquet, enjoué, en rajouta: - Et, ressemblant, avec ça ! Avec la même minutie, Matisse n'a jamais cessé d'étudier les enlacements du lierre, les racines du cou, les lignes de la main dans une feuille de figuier. Depuis c la fenêtre ouverte > par laquelle il faisait son entrée, en 1905, dans la cage aux fauves, jusqu'à ce chemin de croix qu'il vient de terminer pour les dominicaines de Vence, Matisse a poursuivi avec lui-même xuile l'"!J~ 1:i.o 1

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