/\UJOUHD'lllll,11, 1\IITÊTREÉQUIUHlllSTE l'OUll THOUVEll SON P.4.R .4.LEXA!WDRE .4.STRlJC « Être un homme complet, équilibré, c'est une entreprise difficile, mais c'est la seule qui nous soit proposée.... Un homme est une créature qui marche délicatement sur une corde raide, avec t1intelligence, la conJcience et tout ce qui est spirituel à u11 bout de son balancier, et le corps et l'instincl et tout ce qui est inconscient, terrestre et my1térieux à l'autre bout. En équilibre, ce qui est diabkment dij]icile. » Aldous HUXLEY (Conurpoint) C'est parce qu'il marche sur une corde raide tendue au-dessus du vide que l'équilibriste a droit à l'admiration des foules. Le public qu'il fascine applaudit chaque soir cet homme qui met au défi les lois. Or, ce que le public ne sait pas, c'est que ce vide et ce vertige sont pour l'équilibriste un climat naturel. Non seulement la hauteur ne l'effraye pas, mais il en a besoin comme d'autres de sentir la terre ferme sous leurs pas. Replacez cet homme sur Je sol, il trébuche. Il n'est à son aise que lorsque toute aide se refuse à lui et qu'il lui faut inventer à chaque instant ses points d'appui et tirer sous ses pas un tapis magique pour pouvoir s'avancer. Les notions d'équilibre et de juste milieu s'excluent !'une l'autre bien que presque toujours on les confonde. L'équilibre se fonde sur l'intensité, c'est ce qui lui permet de s'affirmrr. Tout ralentissement rétablit les lois qui sont directement opposées à celles de l'équilibre. La France, qui ignore presque toujours sa grandeur, a la hantise du juste milieu, car elle croit y trouver le secret de son équilibre. Elle ne veut vivre que par paliers, laissant le temps augmenter lentement son domaine comme une terre gagne sur la mer même s'il lui arrive d'être complètement recouverte par la marée. Les manuels nous apprennent la légende admirable de ce pentagone parfait suspendu par les Dieux à l'extrémité de l'Europe entre deux climats opposés et deux mers éternelles. Cet équilibre, que j'appellerai de tempérance, pourrait être celui de la médiocrité. Il ne l'est pas car il s'appuie sur un équilibre plus profond, plus charnel peut-être, où ce pays trouve cette grâce étonnante qui lui permet de r e c u I e r perpétuellement ses limites. Me dira-t-on que cet équilibre a quelque chose de démoniaque? Je le crois bien. La mesure française est une démesure qui ne déraille pas, une folie qui sait se surpasser, son équilibre est fait de sa vigueur non pas à réprimer les excès, mais à les transformer en richesses. Ce pays marche trop vite pour faire des faux pas. Il est en équilibre parce qu'il ne s'arrête jamais. Jusque dans la grandeur, la France reste fidèle à son génie naturel qui est celui de la litote et qui lui fait appeler vallons ces précipices sur les bords desquels aucun autre pays n'oserait se pencher. Je crois à la vertu du vocabulaire: il appelle défaut ce qui manque; jamais ce qui est en trop. Il n'y a pas d'équilibre sans excès, le génie ne se mesure pas, la folie est faiblesse et la sagesse abondance, la grandeur porte en elle-même sa propre raison. La grâce humaine est pesanteur, l'équilibre plénitude et non compromis, la justesse de ton est à l'opposé du juste milieu, la vérité ignore le bon sens, deux for~s opposées s'annulent sans profit... L'état de grâce dont nous parlons est fondé sur la certitude passionnée d'une force qui trouve en elle-même assez de ressources pour s'élever dans les airs sans aucun appui. Oserai-je dire que cette force est une pesanteur à l'envers? Elle assure l'équilibre de l'esprit en l'obligeant à être perpétuellement en action. Le type parfait de l'artiste en équilibre, c'est Gœthe. Dira-t-on par lb. que le Second Faust est un chef-d'œuvre de mesure et de justesse de proportions ? L'équilibre de Gœthe était fait d'un contact perpétuel avec la démesure. Hôlderlin, Kleist sombreront dans la folie; Gœthe sait qu'il peut tout oser, car il a été une fois pour toutes lesté de cette pesanteur qui lui permet de marcher au bord des précipices. Il traverse le vide avec des semelles de plomb. Cette pesanteur sera son guide. Un démon assis à ses côtés tisse chaque matin pour lui le Iil toujours plus étincelant d'un dessin où tous les coups seront des coups heureux. C'est pourquoi je crois en fin de compte que l'équilibre est fondé sur la démesure mais ignore l'inquiétude. Il puise sa force dans le désarroi mais n'en est jamais la victime. Le contraire en somme de l'état où vivait Pascal. Cet esprit aux abois s'imaginait qu'il était trop intelligent et qu'on ne pouvait guérir cet excès que par un excès contraire : l'abêtissement. Or, la loi première de l'équilibre c'est J:r::::,=~~~~e~~!;t~~n~~sq~;e~: les unes contre les autres, mais se multiplient si on les groupe en faisceaux, que l'on ne gagne jamais à se mutiler, que toute affirmation est bonne, que le devoir d'une personnalité est d'aller jusqu'au bout d'ellemême fût-elle menacée de rencontrer la folie, que rien ne sort que du tumulte, que l'anarchie est un ordre... Bref, que la sagesse est u.ne folie vigoureuse, et qu'il n'y a rien de plus précieux à souhaiter à un pays ou à un homme que la démesure ~t l'orgueil car cc sont les seules forces qui permettent de mart:her sur la mer sans jamais s'enfoncer. l0l
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