Album du Figaro, N° 23, avril-mai 1950

" du charme ". Q,g'cst-ce que le charme? C'est un mélange de coquetterie et de naturel, qui trouble et Fassure dans le même temps. C'est l'aisance des sentiments comme la grâce est celle des mouvements. La plupart des hommes, en dépit des apparences, sont timides. Ils ne se hasardent guère que si quelque signe secret leur donne à penser que leurs avances seront bien accueillies. Seulement une femme trop hardie ne plaît pas longtemps. L'amour aime à triompher de quelque pudeur. Le charme permet à la femme de laisser deviner un tendre consentement, sans donnc:r l'impression de facilité qui décevrait l'orgueil du mâle. Les hommes ont besoin d'admiration et de divc:rtisscment. Ils s'attachent aux femmes qui savent les louer, les écouter et les distraire. Une séductrice doit avoir assez. d'esprit pour amuser, pas assez pour inquiéter. Certaines ont fait une grande carrière dan6 lesilence. Madame Récamier parlait fort peu; tous les hommes de génie la recherchaient et lui prêtaient l'esprit qu'elle leur inspirait." Je veux ", disait cyniquement Byron," qu'une femme soit assez intelligente pour m'admirer, et pas assez pour exiger d"être clic-même admirée". Plus d'un homme, qui n'eût pas osé le dire, l'a pensé. La séductrice doit être Aatteuse, mais avec adresse, par de petites louanges qui semblent lui échapper plutôt que par une profusion d'éloges outrés. La vamp, qui fut à l'honneur pendant le DOUGLA.N 1-',l.lllHAl"KS ne de.scmdait à Lo11drts qu'au Cfaridge. Il aimait lu prit1ce.r.ru. Les ladiu le lui rendaient bim .', .. RUDOLPH ''AI.El"Tl~O eutunbeleuterremuit. Des di"l,_aints de milliers de fe1111nu vinrent à Hollywood .t'évanouir parmi les fleurs. 112 Le charme, ntélange de c:oc1uellc1•I• et de naturel. l,'hontme p1•élére les ~4'.!duch •ice!!i ln,·olo11lalre!!i. Ln TAffl~ s4'.!duclrlc:e Tolonlalre. CHAHl,EN HOlŒll vit à Hally1.Jood; il est u11 véritable amba.rsadeur de France, ce qui est d'autant plus curieux qu'il ut AmCricain .' premier quart de cc siècle, était une séductrice volontaire. (Marlène Diétrich dans L'A11g,e bleu). Elle s'adressait aux instincts et collectionnait les amants, comme Don Juan les maîtresses. D'où l'idée: de l'homme-gibier poursuivi par la femme chasseresse. En I9jO, l'homme préfère les séductnces involontaires. A l'écran, elles sont belles, touchantes et secrètes : Greta Garbo, Michèle Morgan, Alida Valli du Troisième Homme. Dans la vie clics plaisent, malgré clics, dès qu'elles paraissent, parce qu'elles ont cet air de rêverie hc:ureuse et douce qui est une promesse de: plaisir; parce qu'elles aiment à plaire et à aimer. " La plus dangereuse de vos séductions est de n'en point employer." Après quelques succès qu'elles n'eussent pas désirés, icur réputation attire les prétendants. Et comment refuser à un ami, sans le blesser, cc qu'à d'autres l'on accorda? Car la séduction n'est pas la coqucttc:ric:. Une coquette cherche à plaire sans se prendre ellcmêmc: au jeu. Elle: veut tout recevoir sans rien donner. A quoi, si clic est johc, elle réussit pendant un temps. Mais les triomphes de la coquette sont courts. Célimènc, au dénouement, ç:erd tous ses amants, et même Alceste. Madame Récamier perdit Benjamin Constant, avec qui elle fut coquette, et séduisit pour toujours Chateaubriand à qui elle se donna. La séduction peut commencer par la coquetterie:, mais elle n'cstachc:vée que par la possession. Il y a, en 19jo, de ~ jeunes fi.lb qui sont des séductrices, mais clics ne sont plus des jeunes filles. * La séduction comporte des éléments naturels. Une femme naît belle. Toutefois, quand clic ne l'est pas, die peut, si elle a du goût, regagner bien du terrain. Une coiffure, un chapeau, transforment un visage; une robe bien coupée fait valoir son corps ; la danse et les sports donnent de la grâce. ~ant au charme, chacune en peut acquérir en se rapprochant du naturel. Toute contrainte, toute raideur, toute attitude artificielle éloigne de nous ceux qui pourraient nous aimer. Comment goûteraient-ils l'intimité avec un être qui refuse d'être intime avec lui-même? J'ai connu des hommes âgés, et même vieux (Lyautey, Valéry) qui gardaient un charme p~ssant parce qu'ils restaient spontanés," gamins ", cc parce que la gloire n'avait pas entamé leur simplicité. L'amour de l'amour accroit la séduction. La haine, la cruauté enlaidissent; la tendresse, la sérénité embellissent. ~c de fois vous vous êtes demandé en voyant une amie : " ~•a-t-elle aujourd'hui ? Elle devient belle ". Cc qu 'clic a ? C'est qu 'clic est amoureuse. Nos traits reflètent notre vie intérieure. Et cdle•ci dépend aussi, pour une part, de notre: culture. Voilà encore un chemin vers la séduction. Tout homme ou toute femme qui maîtrise un art, qui apprend à aimer la poésie, 1a musique:, devient par là CLARK GAHl,f'., a° \' Coo1•E11, adoré de jeunes filles, gra:1d,t .. le.s [t1nmes paur son repruwte ce m1r{1( . ~ t sourire et sa simplianciw biicber01i qJJ i, t.st cette cbo.st rare : u, 1 jamai.s ramassé une rtux qui sait .se tain. LOu1s JounoAI", seul jeune Frm1çai.s q11i wcha11te les Am ériCt1i11e.s. .Mais quel dommage pour eJ/e.s: il a une femme cbarma11tt. Peul-on acquérir de la !!'Hucllon '! L'a■nour de l'ü11un1r llCCl"Uil la ~ucllun. Le n1arla11e et la !!iéducUun 1.ern1anente. GIF:llA HD l'IIIL ll'E réalise tout 11t1l11relimm1t 1me gageure. Il e.st facile d'étre jw11e, dij]iciled'itrepnmù:r. 11 ut " lt jeune premier " plus séduisant. Le génie des maîtres contribue au charme de ceux qui savent le comprendre. Les émotions que fait naître l'art enrichissent cc:ux qui les admirent. Beethoven, Mou.rt, Wagner Ont uni plus d'un couple. Et mieux encore Stendhal, Proust, Baudelaire. Une femme cultivée, mais exc:mptc de pédantisme, est" cc qu'il y a au monde d'un commerce plus délicieux ". ~ant à l'homme, puisque sa séduction est faite pour une grande part de son prestige, toue progrès dans son métier le rendra plus séduisant. " ~'allais•je donc chc:rchcr en Orient ? " dit Chateaubriand. " De la gloire pour me faire aimer ". * Le mariage pose deux problèmes. Le: séducteur et la séductrice involontaires sont-ils capables de fidélité ? Et un mari ou une femme doit-il continuer à séduire, s'il le peut, son conjoint? L'homme et la femme qui, malgré eux, cc par leur seule: présence, plaisent à tous ceux qui les rcncon trent sont exposés à de: grandes tentations. li leur faut quelque abnégation pour donner leur vie à un seul être alors que tant de conquêtes leur seraient faciles. Pourtant, si leur mariage est vraiment heureux, la fidélité ne leur sera pas pénible. Ils mesureront le prix de ce qu'ils perdraient et la fragilité de cc qu'ils gagneraient. Un séducteur sait qu'il peut avoir toutes les femmes, saufcelles qui sont p;otégées par un grand amour. Tl peut briser bien des ménages, mais non les meilleurs. ~ant à la séduction permanente à l'intérieur de la vie conjugale, elle est parfois néa:ssairc.'' Oqui fait le succès du mariage", a écrit Bernard Shaw," c'est qu'il combine le maximum de tentation avec le maximum de commodité. " Mais l'excès de sécurité risque de tuer la tentation. L'art de l'épouse séduisante est celui de maintenir un équilibre, toujours instable, entre la sensualité et la pudeur, entre la coquetterie et la franchise. Certains hommes sont ainsi faits qu'ils poursuivent cc qui se refuse c:t négligent cc qui s'offre. O:ux-là imposent à la femme qui les aime les artifices de la séduction. Elle se voit contrainte, pour ne pas les perdre, à jouer la comédie de la coquetterie. Si elle est adroite, amoureuse et fidèle, le jeu sera sans danger. Mais il exi~e finesse-et prudence. 113

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