Album du Figaro, N° 26, novembre 1950

14 CITIZEN WELLES Ûrson Wdlcs a eu cette chance inexplicable d'échapper à cc que l'on pcuc appeler les ann&s d'apprentis.sa.se. A deux ans il parlait si couramment anslais qu'un psychiàtrc st pencha sur le cas. Le doctc:ur Maurice Bernstein scruta le petit phénomène et pour noter son comportement lui donna, entre autres jouets, un théàtn: de marionnettes. C'(St ainsi qu'Orson mit en sctnc ses premières pièces. Il avait cinq ans! L'enfant proclisc allait à ccttt cadence devenir tôt un jeune homme trop vieux. A ngc ot:1 d'autres garçons de son niveau social - il est fils d'un petit inventeur - s'intéressent encore à "Dick Tracy", lui en a terminé avec Nien.schc. A celui où les plus précoces songent au Conservatoire il a dtjà bouleversé les foules sous les traits de Faust, de Macbeth et du Roi Lcar. Nul mieux qu'Orson Welles ne peut illustrer la notion de temps physiologique, chère à Alexis Carrel. Pour comprendrt le personnage il faut admettre que la natur~ l'a gité àe tdle sortt que le temps qui est sien n'a pas de commune mesure avtc cclui que marquent nos cadrans et nos calrndriers omnibw. " Son " tanps court à la vitc:ssc de facultés qui, à l'abri d'une formidable carcasse, actionnée par un ccrur de 100.000 cv, se sont dévdoppét.s comme des fleurs japonai.sts. On m'a dit qu'à P.IR H.\E-URIE C.l!ILIS quinze ans- il est né lt 6 mai 1915 à Kenoscha dans le Wisconsin - Orson Welles avait la corpulence d'un homme de trente ans et la culture d'un Américain de soixante. Il n'a guère changé depuis, physiquement du moins. La platitude de l'écran nous donne une idée a.ssa fausse dy personnage, Orson est encore plus puis,çant que cela. Il s'avancc vers vous et devient plw puissant encore, et pluspuissantcncore quand sa voix pour proposer le plus simple "You'll have a drink .. x charge des sonorités de la contrebasse:. La dernière fois que je l'ai vu il était en partance pour l'Italie. ll vrnaitde boucler ses deux valises et une caisse de livres qui le suit depuis des années entre les Etat~ Unis et les pays latins. Il vitupérait Hollywood et ses kilowatts, s'enthousiasmait du soleil de Sicile et lançait un rire immense: "A Venise, j'ai vu une gondole balader une publicité lumineuse de Coca-Cola". Cette injure au business américain laisse entrevoir toute la ranccrur du colosse que les financiers prétendirent un jour tc:nir en laisse. Ils lui avaient proposé le contrat le plus extraordinaire que jamais Hollywood con.sentit à qudqu'un: Orson pourrait faire un film par an dans lcqud, à son gré, il serait producteur, acteur ou metteur en scène, toucherait 15 •/. des rcccttcs brutes et pour commenccr, une avance de 125.000 dollars. " C'est le plus beau train é1cctrique jamais offert à un enfant .. s'écria Welles en apposant sa signature. Et il se mit à jouer. Depuis longtemps il rtvait d'un projet: " L: ccrur des talèbrcs " de Conrad, l'addition effraya la linancc qui coupa le courant et Orsan Welles dut se rabattrt sur " Citiun Kane" sans doutt son œuvre maîtres.se:, en tout cas celle qu'il préfère. Hearst, qui crut se rcçon• naître dans ccttc .satin:, déchaîna sur le champ toute sa presse. OUON WILUS, ,uYANI LA CAPITAll. 1ST VENU CMHCMH LA SOllTUDI A VllSAILUS. li VOICI AU IAS Dl .. L'ISCAllH DIS CINT MAaeMH •• L'orage passé, Orson Welles boude ses deux vali.sts et sa caisse de livres et se rapproche des latins. A Mexico, il se fiance à Dolorès del Rio et séduit par la brutalité du Mexique tourne'' My friend Benito", une bande sur les courses de taureaux. " Avant de faire cc film, j'ai tué deux ctnts taureaux de ma main, des vrais, pas de ces taureaux espagnols dont les cornes vous arrivent ici... Des vrais combattants dont les cornes vous arrivent là... De ceux à la vaillance dcsquds on rend les honneurs et que l'on renvoie aux pàturages finir leurs jours parce qu'ils ont bien mérité leur victoire sur l'homme. " \\f elles s'exprime en français. Pourtant le flux d'idées qui submerge sa pensée ne peut se contenter de mots mesurés ni de phrases qui exigent pour lui un effort de construction. Aussi c.scamote-t-il vite notre vocabulaire pour puiser dans celui d, Shal«spra><. Il se tient debout, la poitrine dilatée et roule ses gros yeux noirs à mille facettes. Sa main basse coiffe le verre qu'il balana:, pour ponctuer son discours, avtc l'adresse d'un monsieur qu'aucun problème,cncore moins cdui d'une goutte, ne préoccupe. Son adresse nous rappelle que, dans le cirque miniature qu'il avait monté, il fut un temps illusionniste. C'est alors que Rita Hayworth apparut, il l'épousa et en fit la plus belle fille du monde. Cc fut elle qui demanda le divorce après lui avoir donné une petite Rebecca. Motif : " On ne peut pas vivre avec un génie ". " Suis-je un génie ? " danande Orsan Welles dans son Faust et sa femme qui est toutes les femmes répond : " Tu .sais faire tant de choses, .sans doute en es-tu un". Suite puge 92.

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