66 TROIS NOËLS CLANDESTINS PA Il ODETT! CIIURCIIILL Agent S. 13 CeH• ,._..,.. f•--• ••• une llifrotne ..., .....,.que. FrORf:<OI•• -•r••· d: un A1111••••• elle eacrf/1• tout pour deu••lr a11enf eecref au eervfee de 110• arme•, pMI• ,.•oppo•• que le •ffeJ1ce aN.s- forfMre• de la Geefopo. Le /fl,n .,,.,., d'IIIMelrer ••• llfefofre. Odette Ch.Mrcl.,11 • •••n VONIM •uoqul'r po- Noue le •oNue•lr de• traie N•••• qw.'elle P•••• •11 plein dr•-•• ••••• auec ••" e•pifraftce. ARLES, 25 DÛIEMBRE: 1842;. Mon premier Nod en France depuis dix ans. Il fait froid. La neige tombe et se pose: délicatement, comme avec respect, sur les vicilfcs pierres transformant la ville historique en ville de conte de fét.s. Mais le mauvais génie ri'cst pas loin qui va détruire le rtvc de paix et de douceur. Il apparaît bientôt sous l'uniforme d'un officier de l'armée allemande. Peut•être a•t•il voulu comme moi trouver un coin tranquille où prnser à des êtres aimés... à moins qu'il ne cherche à oublier? Il s'kartc: pour me laisser passer. Pour lui je représente une femme sans beaucoup d'importance. Pour moi il est l'ennemi. Je rentre à l'hôtel où j'habite depuis qudques jours pour y retrouver mon chef de réseau, officier de liaison britannique avec un groupe de résistants français. Son nom de guerre est Raoul. Le mien c::st Lise et je suis Française, et Français sont nos compagnons dont le nombre s'élève à une bonne dou·uine. Nous sommes rfonis pour faire une opfration de «Pick•up» (faire atterrir un avion} qui doit ramener à Londres Raoul et qudques autres passagers. Malhcu· reuscment l'opération se fait attendre et nous ,;ommes obligés de rester dans le même hôtel que les officiers supérieurs du détachement occupant la ville. De ma chambre glaciale j'entendais pour la première fois un Notl chanté par des Allemands et je me demandais avec tristesse combien de Nofls nous aurions à partager avec c::ux. Combien de Nods j'aurais à passer loin de mes enfants, moi qui ne:: lc::s avais jamais quittés, qui leur avais toujours consacré entièrement ces fttcs qui de:: droit leur appartiennent. Incapable de rester plus longtemps avec ma peine, je me rendis à l'église pour y retrouver un peu de calme et le courage de:: me:: taire, car pour tous, je suis Madame Odette Métayer, veuve c::t sans enfants. Cette nuit.là, le sac de voyage de Raoul contenait trois petits mouchoirs bordés de dentdle qu'il devait envoyer à trois petites filles pensionnaires dans un couvent d'Angleterre::: Françoise::, Lily et Marianne Sansom, dix ans, huit ans et six ans, mes filles. FllESIW~, 26 DÛEMBRE 1843. Un silence lourd,.commc celui qui entoure une chapelle ardente, rè:gne dans la prison. Cc matin, comme tous les matins depuis le mois de mai, le bruit du chariot qui nous apporte l'ersatz de café habitud me fait sursauter. Je crois que c'est un son auqud je ne m'habituerai jamais; car, s'il m'apporte le réconfort d'un peu de liquide tiède, il signifie:: le commencement d'une autre longue journée pareille aux autres, ou pire, et termine la nuit bienheureuse qui entoure nos souffrances de silence et d'obscurité. Aprè:s plusieurs mois de solitude, je suis mi.se en cellule commune avec Mlle H. et Mme B. et sa fille A. Mes compagnes sont comme moi, prisonnières politiques. La SC:raiité de Mlle H. nous est d'un grand S(C()urs. Je suis encore sous l'influence des mauvais Dtux soui'tnir.1 d, priton. : la toi/, d, dtjtn.tt passive, dlcorh par un. p,iton.nier pl)ur la mus, d, Noil à Fn.tnt.t; I, livnqu'Odttt, C.bu.rchill anutrva par miracle jusqu'à la liblration dt·Raivn.sbrutl:. par lu Al/il.t. traitcmc~ts. que j'ai _reçus de la Gestapo et cela me paraît extraordma1rc:: de voir se tourner vers moi des visages amis. Je n'osais pas y croire. Oc ma vie je n'oublierai mon entrée dans la cellule N" 33~· J'y arrivais avec méfiance, persuade( que c'était un autre moyen mvcnté par la Gestapo pour obtenir de moi certaines informations qu'elle n'avait pu obtenir par la brutalité. Mais quelle grave erreur de ma part ! La Gestapo n'était pas au courant de mon chansement de résime. Je devais cette faveur à l'aumônier ~!~~and de la prison q~i ~·avait plusieurs fo~ rendu visite et qui, Je 1a1 su plus tard, avait mtcrcédé pour m01 auprès du capitaine chargé de la section des femmes. En contrevenant aux ordres donnés par leurs maîtres de l'avenue Foch tous deux couraient de graves dangers. Que de fois dans l'avtnir je devais penser· avec rt~rct à cette trop courte période d'amélioration dans ma vie de pn.sonnitrc ! Ayant refusé de faire_ de la couture pour lc.i Allemands, j'avais ccprndant voulu manifester ma reconnaissance à l'aumônier, que toutes, à la 337, nous estimions. Aidée de mes compagnes et en mettant en commun leurs dons, car moi je n'avais rien à offrir que de la bonn~ volonté, nous réussîmes à faire deux poupées avec des bouts de chiffons, des bouts de laine et de vieux bas soigneusement effilés. Le bourrage provenait du kapok du seul lit de la cellule possédant un matda~. Que de tristesse et d'amour furent miscs d~ la création de ces deux petites poupées que j'aurais tant voulu dcstrner à mes_ filles! Comme j'aurais veulu qu'elles fussent jolies pour leur plaire ! Les deux enfants allemands, niè:ct et neveu de l'aumônier, qui les reccvi-aient y vcrraicnt•ils autre chose que deux joutts assez vilains ? • La veille de Notl nous avions déci.dé de donner à notre appar• tct:nent un air_ de festivité en dépit des circonstances. Sur deux SUJcts_ nous étions toutes d'accord : notre patriotisme et notre foi en ~1cu, et nous cherchions le: meilleur moyen de montrer nos sentiments avc::c le pc:~ de ressources dont nous disposions. Le mou~hard - ou l œtl, comme nous disions - qui servait à nos geôliers pour nous surveiller fut agrémenté d'un petit ridc::au de chaque côté et sur la tablette, en dessous, nous avions installé un Enfant Jés~ mim.1~lc da?s une_ petite crèche décorée de qudques fleurs en mie.de pam, ~c larnes t~colo_res. et de:: deux petites bougies que nous _avions réussi à obtcmr. AmSt le mouchard perdait tout caractère mhumain, cc qui avait le don de contrarier visiblement nos souris grises chaque fois qu'elles ouvraient le guichet ou la porte. Pourtant aucune n'osa jamais nous donner l'ordre de tout ~nlc!cr•. Faut-il voir là un ~icux reste de sentimentalité? Une peur ~t~ct1v_e? ~u une autre ra1SOn plus profonde? Mêmt aujourd'hui JC n en sau nen. A Frcsnc::s j'ai entendu des chants; ils m'ont paru plus beaux et plus émouvants que n'importe quelle musique au monde. Aucun cantique chanté dans une église n'aura pour moi la beauté et b grand:ur du Minuit Cbrttitn que chanta un de mes camarades df fase_cuondes hom_mcs, et jamais autant qu'en prison je n'ai souhait~ avoir une belle voue pour bercer un peu la douleur qui m'entourait". Cette nuit.là fut plus longue encore et plus triste que:: d'habitude en pensant à mes enfants et à mon chef, Raoul, que je savais scu) en cellule dans la mrntc prison. Le jour de N~l se leva. Il cüt été tout pareil aux autres si nous n'avions lu la messe en commun; nous possédions toutes quatre up. livre intitulé Lu Prûru du Pri.tl)nnitr. Le Père:: aumônic::r nous avait promis de célébrer le Saint Sacrifice le plus tôt possible aprè:s NoEl, mais c'était formellement interdit par la Gestapo. Il devait donc dire une messe rapide devant un autel de fortunt, dans une cellule qui pouvait contenir à peu près une vingtaine de femmes. Dans cc cadre misérable la cérémonie fut bouleversante. Dcrritre le simple autel le store de défense passive avait été décoré d'un très beau dessin de la Nativité par un camarade qui travaillait dans la Résistance avec Raoul. Il avait eu la touchante pensée de mettre:: mes initiales dans un coin du tableau, et cc geste d'amitié, avec la relique que par la suite il réussit à me faire passer, devait avoir un pouvoir vraiment miraculeux. Car, malgré tout cc que j'ai dü traverser plus tard, je conserve encore aujourd'hui cette préci.c~ relique::. Comment dire le désespoir, la colère, le courage et la satisfaction des jours de Nod en prison? • RAVEN'SBRIJCK, 25 DÛEMBRE 1844. La neige tombe et se pose délicatement, comme avec respect, sur le four crématoire. Les bruits du camp sont feutrés. Les murs de nia cellule sont teintés de rose par les grandt.!;_flammcs qui jaillissent de la cheminée monstrueuse. Je suis de nouveau seule depuis d~s mois. Je sais que c'est le jour de Nofl. Hier soir j'ai entendu les chants des Allemands. Cc matin j'ai récité la messe du jour, toute seule. Je crois que c·c.~t mon dernier Notl. J'ai été condamnée à mort et de toutes façons je suis très malade, mais je n'accepterai pas de mourir sans lutttr jusqu'au bout de toutes mes forces. ! A la fm du jour, petite promenade de dix minutes avec une sentinelle dans la cour dése1tc du Bunker. Le ciel est pur et pl~ d'étoiles, comme il y a deux mille ans. Comment vont mes enfants? Et Raoul? Est•il vivant? Comment va+il? Avant de m'étendre pour la nuit je contemple mes trésors: mon livre de Pritres, ma petite relique et une petite:: feuille d'arbre ramassée dans la cour (où il n'y avait pas d'arbres). Le vent saru doute l'a apportée pour moi, c'est le témoignage du miracle 4c la nature, et je vois dans cette petitt feuille le signe d'un espoir incompréhensible... ' 67
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