M A R S
1934
D U
C O I
N
D E
L '
Œ I L
C H A N S O N
D E
P R I N T E M P S
N
ÔTRE
époque ignore le printemps. Plus
exactement, elle ne lui témoigne qu'indif–
férence. 1211e n
'a
de sourires, d'attentions
que pour l'hiver et l'été. Les colonnes des jour–
naux sont pleines des notes des communiqués de
ces deux saisons à la mode ; il n'y est question que
des événements qui se sont déroulés entre le
i
o r
juillet et le 3o septembre et de la Noël au
Carnaval.
L e printemps est comme ces jolies jeunes filles
saines et fraîches, mais discrètes et timides qui,
dans les réunions mondaines, passent inaperçues
au milieu des amazones de vingt ans qui vont dans
la vie armées d'arrogances et d'aplomb, se font
remarquer par leurs toilettes tapageuses et leurs
propos sans ingénuité, paraissent en pleine matu–
rité ayant perdu déjà un peu de leur fraîcheur, ou
parmi les femmes déjà fanées que les artifices
des couturiers parent de séduction quand ce ne
sont pas leurs cheveux blancs, dans un visage
rajeuni qui leur attire des admirateurs.
Vous-même, Madame, dans vos propos, n'évo–
quez que des souvenirs dorés au soleil ou poudrés
par la neige.
Vous
c o n n a i s s e z
Cannes et la Riviera l'été,
puisque c'est la mode, aussi, quand la brume froide
vous chasse de Paris et que vous allez chercher
aux rives de la mer latine la brise tiède qui
agite aux branches des palmiers et dans les
jardins, les serpentins elles confettis. Vous n'avez
vu la Suisse qu'à l'occasion des sports d hiver
quand la nature joue dans les vallées, entre les
parois abruptes des monts, une symphonie noire et
blanche, ou l'été quand vous pensez y trouver la
fraîcheur des lacs romantiques et les caresses d'un
climat tempéré.
Mais vous n'avez jamais vu la Côte d'Azur
dans sa parure de printemps, toute embaumée de
senteurs apportées de l'Esterel, de la mer et des
champs quand les fleurs font des guirlandes le
long des routes et que le rivage est plus coloré
qu'un arc-en-ciel.
Jamais vous n'avez traversé la Suisse quand
fond la neige et que dans les vallées, soudain
vertes, sur le flanc mauve des montagnes s'étalent
d'autres flocons blancs, les fleurs de crocus qui
ressemblent à des fleurs de neige attardées dans la
verdure. Vous y verriez les lacs réveillés, reflé–
tant dans leurs eaux d émeraude le sommet étince-
lant des pics roses et des glaciers bleus. Vous y
entendriez les sonnailles des troupeaux et regarde–
riez les toits rouges des chalets suisses mettre dans
les vallées des taches de coquelicots.
Je parle de la Suisse et de la Riviera parce que
ce sont vos villégiatures préférées d'hiver et d'été.
Mais avez-vous vu toute la campagne française au
printemps, de la Normandie à la Provence et de
l'Alsace au Languedoc, la Côte basque avec ses
teintes acides, sa mer d'argent, la vallée de la
Dordogne, celle du Rhône, les côtes de la Gironde
et les bords paisibles de la Loire et les rives
riantes de la Seine?
N'hésitez pas, sacrifiez quelques jours sur vos
vacances accoutumées, prenez le train ou votre
voiture et allez sur les routes à travers la cam–
pagne émerveillée des caresses d'un jeune soleil.
Vous ne le regretterez pas. Croyez les poètes qui
chantent le printemps. En est-il un seul depuis
Leconte de Lisie :
* M i d i roi des étés »
qui ait tendu sa lyre à
la brise brûlante des étés cannois ou au souffle
glacé qui tombe de la Jungfrau du Mont-Blanc ou
du Cervin, qui ait mis en vers les délices du
nudisme à Juan-les-Pins ou l'envol d'un skieur
sur les pentes de Mé g è v e ou de Mûrren? Non,
n'est-ce pas? Alors écoutez les poètes. Ils vous
parleront de l'amour en décrivant le printemps.
Il n'est pas jusqu'à Paris qui ne soit, de mars
jusqu en juin, incomparable. Les femmes y sont
plus jolies que jamais dans leurs toilettes claires et
ces toilettes sont pour elles d'exquises parures. Il
n'est pas une femme qui n'en soit rajeunie. Elles
ressemblent toutes à des jeunes filles... en fleurs,
bien entendu.
Ces toilettes de printemps je ne vous les décri–
rai pas,
V^oicLla Mode
vous en dira toute l'élégance,
toutes les tonalités, toute la fraîcheur.
Etje suis sûr qu'elles sont ravissantes.
Et qu'elles vous vont encore mieux que vous
allaient vos robes d'hiver et vos fourrures.
Elles feront de vous des fleurs printanières. Et
je voudrais bien être un papillon...
Louis DANEY.
3g