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Au cours du mois de décembre dernier, le Palais Galliera avait reçu le Docteur Philippe Charlier, médecin légiste, et ses étudiants, afin qu'ils réalisent, sur l’un des trésors méconnus des collections du musée de la Mode de la Ville de Paris, une étude associant les techniques médico-légales à l’histoire du vêtement, dans le cadre des 150 ans de la Commune de Paris.
Juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse dans un contexte social mouvementé. En six semaines, la France enchaine les défaites sur son propre territoire, et Napoléon III est emprisonné par les Prussiens, le 4 septembre 1870, après sa défaite à Sedan. Paris est assiégée, mais les Parisiens résistent aux attaques répétées, jusqu’à ce que le gouvernement accepte la signature d’un armistice, le 28 janvier 1871.
De nouvelles élections sont alors organisées, plaçant au pouvoir une assemblée majoritairement royaliste, gouvernée par Thiers. Ce nouveau gouvernement s’installe à Versailles, et non à Paris, où le climat est tendu. Un sentiment de trahison anime les classes sociales les moins aisées, qui résistaient depuis plusieurs semaines.
Le 18 mars 1871, les Parisiens se rebellent contre ce nouveau gouvernement. C'est le début de la Commune de Paris, qui durera 72 jours et s’achèvera par la « Semaine sanglante », du 21 au 28 mai 1871, marquée par de nombreuses exécutions.
"Exécution sous la Commune" ; Collection Musée Carnavalet-Histoire de Paris
L’objet de l’étude réalisée par les étudiants du Docteur Charlier est un habit ayant appartenu à Louis-Bernard Bonjean (1804-1871). Ce dernier fut l’une des victimes de la Commune de Paris, en mai 1871 : au titre de premier président provisoire de la Cour de Cassation, il fut fusillé, place de la République, en représailles à des exécutions de communards.
Une partie de sa garde-robe est conservée dans les réserves du Palais Galliera, dont le costume trois-pièces en lainage noir qu’il portait le jour où il fut executé par la Commune de Paris, le 24 mai 1871.
Criblé d’impacts de balles, ce costume est donc l’un des rares témoignages de cette période sombre de l’histoire de Paris.
{Gauche} Portait du Président Bonjean ; Collection Musée Carnavalet-Histoire de Paris
{Droite} Habit du Président Bonjean ; Collection Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris
Le groupe scientifique du diplôme «Techniques d’anthropologie médico-légale» de l’université Paris-Saclay s’est réuni dans les réserves du Palais Galliera afin d’établir une analyse médico-légale ainsi qu’une étude balistique du vêtement, sur mannequin ou sur table d’examen. A la manière d’une scène de crime où l’habit remplace le corps, les lésions balistiques ont été reconstituées à partir des orifices d’entrée et de sortie, complétées par des analyses toxicologiques secondaires au laboratoire CHU Lariboisière, et par des analyses microscopiques au musée du quai Branly – Jacques Chirac, où le Docteur Charlier dirige le Département de la Recherche et de l’Enseignement. Le calibre des armes utilisées, les angles d’attaque, ainsi que la liste des organes potentiellement touchés, ont ainsi permis une reconstitution 3D anatomo-clinique, avant de formuler des hypothèses sur les impacts en cause dans le décès de la victime.
L'habit du Président Bonjean entre les mains du Docteur Charlier, en décembre 2020
Le rapport scientifique vient d’être rendu, à l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, et les conclusions sont passionnantes. Cette autopsie permet notamment de confirmer les quelques temoignages écrits autour de cette exécution : les récits historiques disponibles décrivent, en effet, une fusillade par un peloton de communards volontaires présents sur les lieux, animés par un sentiment d’injustice et de vengeance. L’état de l’habit de Louis-Bernard Bonjean et les analyses en laboratoire renforcent cette image de fusillade multiple, de tireurs différents, avec de nombreux tirs touchant l’ensemble du corps ainsi que la tête de la victime (qui fut probablement touchée post-mortem par un ultime tir).
Ce rapport met ainsi en lumière l’importance des examens biomédicaux, notamment médico-légaux, dans l’exploration d’artéfacts anciens, ses résultats apportant des éléments indispensables dans la compréhension du contexte de cet épisode marquant de l’histoire de Paris.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la politique de recherche que le Palais Galliera s’attache à développer en collaboration étroite avec les institutions d’enseignement supérieur (Parsons School, l’université Paris IV, l’INP) et les autres musées nationaux (en l’occurrence le musée du quai Branly – Jacques Chirac).
>> Retrouvez ici l'article et le reportage photographique autour de cette autopsie.